Lydia Zeghmar, « Être dansé », Ateliers d’anthropologie 50 Qui danse quoi ? Une anthropologie du mouvement. URL : http://journals.openedition.org/ateliers/14923 ; DOI : 10.4000/ateliers.14923 

Dans l’arrière-pays égéen en Turquie, le répertoire musical et chorégraphique zeybek célèbre l’héroïsme de rebelles maquisards de la période ottomane, les efe. Dans cette contribution, je propose d’analyser un temps particulier de la performance dansée zeybek appelé « promenade ». Avant d’entrer pleinement dans la danse, le soliste effectue une marche improvisée de quelques dizaines de secondes pendant laquelle il s’accorde avec les musiciens et recherche l’état de danse. Pour qualifier ce moment transitionnel, les danseurs de zeybek portent l’emphase sur l’âme et le tempérament du danseur. Je propose de décrire les différentes composantes de ce processus de mise en état du danseur et d’éclairer ses significations. Nous étudierons comment la promenade contribue à jeter le trouble sur l’identité de la personne qui est dansée à travers la mise en œuvre d’une liminarité : entre la marche et la danse, entre la personne du danseur et le personnage du efe.

Que peut apporter l’anthropologie aux études en danse ? Comment une attention rapprochée à l’égard des pratiques cinétiques peut-elle enrichir l’anthropologie générale ? D’une ethnographie du mouvement à une ethnographie par le mouvement, il s’agit de porter son attention sur toute dynamique posturale, toutes motricités et kinesthésies avant de considérer d’éventuels langages et textes chorégraphiques.

À partir d’études de cas issues de plusieurs régions du monde (Pérou, France, Italie, Brésil, Bolivie, Turquie et Burkina Faso), ce numéro ouvre différentes perspectives analytiques sur le mouvement. Entrant dans le vif de la matière corporelle, chaque contribution propose une manière particulière d’observer, de décrire et de rendre compte de la singularité des danses et des actes cinétiques. Cette approche pragmatique du mouvement est par ailleurs nourrie d’expériences kinesthésiques partagées avec les interlocuteurs et interlocutrices de nos ethnographies, que ce soient des gestes de danse, des libations, des gestes techniques ou agricoles, des façons de porter un vêtement.

Les articles de ce volume ont pour question commune celle de l’intergestualité, c’est-à-dire la volonté de penser tout geste, ainsi que la perception que nous en avons, comme un mélange à la fois intime et collectif, fruit et créateur d’interactions culturelles.