Marc Aymes, Benjamin Gourisse, Élise Massicard, L'art de l'État en Turquie. Arrangements de l'action publique de la fin de l'Empire ottoman à nos jours, Paris, Karthala, janvier 2014, 432p. ISBN 9782811110253

L’État turc est généralement présenté comme fort. La tradition bureaucratique de l’Empire ottoman se serait perpétuée, voire renforcée, durant la période républicaine. L’État est ainsi perçu comme une entité unifiée et douée de volonté, comme une instance souveraine nettement différenciée de la société et largement imperméable aux demandes sociales. Il est souvent considéré aussi comme l’acteur principal, voire unique, d’un processus de « modernisation » et d’« occidentalisation » volontariste de la société.

Partant du constat d’un décalage entre ces manières de concevoir les modes de gouvernement en Turquie, d’une part, et les apports de la socio-histoire du politique et de la sociologie de l’État et de l’action publique, d’autre part, cet ouvrage entend dépasser l’idée d’un État monolithique et autonome. Ainsi se donne-t-il pour objectif d’ouvrir la « boîte noire » de l’État, qu’il analyse comme un système de positions complexe et mouvant. À cette fin, il observe la puissance publique en action et s’intéresse aux multiples acteurs qui interviennent dans l’action publique.

Ordonner et transiger : telle est la double face de l’action publique. Elle apparaît comme l’articulation de la légalité et de la légitimité : travail d’homologation, projections d’un ordre sur la distance et la durée, conversion d’une force en droit ou réciproquement, opérations conjointes d’objectivation et de subjectivation. Mais dans le même mouvement se négocient des alliances et des transactions entre domaines privé et public, d’où l’indécision des périmètres d’intervention et les luttes dont la chose publique est la cause.

Ce livre est le fruit d’un travail collectif rassemblant historiens, politistes, sociologues, anthropologues et géographes, sur des objets aussi divers que la politique religieuse, les effets socialisateurs du service militaire, l’identification des citoyens ou la production de faux, de la fin de l’Empire ottoman à nos jours. Ils ont cependant en commun de mettre en perspective l’analyse des discours officiels avec les pratiques concrètes de l’action publique, d’éclairer des clivages internes aux institutions et de souligner les chevauchements entre appareil d’État et société.

Loin de s’adresser aux seuls spécialistes de l’Empire ottoman et de la Turquie, cet ouvrage a sa place dans le débat intellectuel sur la sociologie de l’État, la socio-histoire des institutions et l’analyse de l’action publique.

Table des matières

Benjamin Gourisse Ordonner et transiger: l'action publique au concret dans l'Empire ottoman et en Turquie
Marc Aymes Agence par défaut
Olivier Bouquet Faut-il encore parler de modernisation ottomane?
Emmanuel Szurek Le linguiste et le politique. La Türk Dil Kurumu et le champ du pouvoir à l'époque du parti unique
Nathalie Clayer Un laiklik imposé ou négocié? L'administration de l'enseignement de l'islam dans la Turquie du parti unique
Nicolas Camelio « Le droit saisi par les militaires » : la rédaction de la Constitution de 1961
Noémi Lévy-Aksu Coopérations et substitutions institutionnelles. La police et la justice ottomanes au tournant des xixe et xxe siècles
Muriel Girard et Clémence Scalbert Yücel Le patrimoine comme catégorie d'action publique dans la région du Sud-Est anatolien
Claire Visier Les politiques européennes de soutien à la « société civile » en Turquie. L'incarnation d'une forme d'action publique
Anouck Gabriela Corte-Real Pinto La domination militaire par les dons
Berna Ekal Şimşek Les foyers pour femmes battues: des «institutions d'État»
Sümbül Kaya La socialisation des appelés par la « formation à l'amour de la patrie » dans le cadre du service militaire en Turquie
Marc Aymes Agence par des faux