Mobilité Turquie-France

La Fondation Maison des sciences de l’homme, en partenariat avec l'FEA, propose des aides à la mobilité pour des séjours en France de 2 à 3 mois aux chercheur.e.s postdoctorant.e.s turc.que.s ayant soutenu leur thèse en SHS à partir de 2016.

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JOURNEES D’ETUDE
La fabrique des politiques culturelles en Turquie et dans les espaces post-ottomans. Circulation, Territoires, Acteurs
Université Galatasaray, le 16 avril 2015

Institut Français des Etudes, le 17 avril 2015

« La mise en œuvre de politiques publiques de la culture […] est étroitement liée à la construction et à la consolidation des États nations » (Poirrier 2011 : 11). En Turquie également, les premières actions culturelles de la jeune République ont été dictées par l’impératif de construction nationale face à un environnement extérieur jugé hostile. A travers une forte centralisation, s’appuyant sur des relais locaux tels que les préfectures ou les maisons du peuple, la construction et la diffusion d’une culture nationale sont allées de pair avec la négation des identités non turco-musulmanes et l’euphémisation (ou la folklorisation) des spécificités régionales (voir Ada & Ince 2009).

En Turquie comme ailleurs (Thiesse 2001),  les échanges, les circulations et les jeux d’échelles, ont joué un rôle dans la construction de la culture nationale (voir Işıksel & Szurek 2014). La transformation d’institutions culturelles ottomanes en institutions républicaines avec un répertoire résolument occidental en est une illustration (Kataoğlu 2009).

Aujourd’hui, les débats sur la politique culturelle se renouvellent dans un contexte de globalisation néolibérale et de négociations d’adhésion à l’Union européenne, à la fois au sein des institutions publiques, du secteur privé et du monde associatif. Avec la période de libéralisation économique initiée dans les années 1980, l’Etat opère un « désengagement progressif partiel du secteur culturel » (Polo et Üstel 2014) - qui participe à la transformation des politiques culturelles et des politiques publiques en général. Le changement se lit à la fois à travers l’ouverture bien plus grande vers des acteurs privés et l’importance accordée à la dimension économique de la culture (prise comme outil de développement, de croissance, et de renforcement de l’attractivité touristique). Il se perçoit aussi dans les débats et les initiatives en faveur de la démocratisation, de la diversité culturelle et de la place de la culture au niveau local. On note ainsi une diversification des acteurs (privés, associatifs, internationaux), une circulation d’objets, d’idées, d’instruments et de manières de faire, notamment internationaux (la Turquie est ainsi éligible au programme Culture Europe 2007-2013 et le sera pour le programme Creative Europe à partir de 2015), avec de nouveaux enjeux pour la culture et les politiques culturelles.

Ces journées d’études s’inscrivent dans le cadre du projet ANR « Matières à transfaire. Espaces-temps d’une globalisation (post-) ottomane » (ANR-12-GLOB-003). Lors de ces journées, nous souhaitons interroger la façon dont ces circulations participent à la construction des politiques culturelles de la période ottomane à aujourd’hui. Il s’agira ainsi de repenser la co-production des politiques cultures, des territoires et des espaces, aussi bien que la pluralité des conceptions de la culture portée par ces politiques.

La notion de « transfaire » nous paraît appropriée pour rendre compte de ces multiples formes et usages des circulations en vue d’étudier la construction des politiques culturelles en Turquie depuis la fin de l’Empire ottoman. Aussi l’usage du « transfaire » permet de poursuivre les interrogations concernant « l’occidentalisation » comme « l’européanisation » et de ne pas penser les échanges seulement en termes de diffusion, d’importation, et d’imposition à sens unique. Nous entendons le « transfaire » comme une clé de lecture pour déconstruire les opérations de transferts (Dumoulin et Saurruger 2010) : le « transfaire » nous permettra de questionner les « modèles » de politiques culturelles, les « bonnes pratiques », les phénomènes de coopérations culturelles, ou encore de traductions.

  1. La coproduction des politiques culturelles

Le “Transfaire” est entendu ici comme un “faire ensemble”. Nous entendons nous centrer sur les phénomènes d’hybridité (Abeles 2008, Appadurai 1996), de connexions et d’associations de différents acteurs (Latour 2006; Callon & Latour 1981) qui co-produisent les formes originales des politiques culturelles. Les journées s’intéresseront également aux résistances et aux lieux et moments où ces connexions et associations ne sont pas mises en œuvre ou ne fonctionnent pas.

Ainsi, les journées d’études s’intéresseront aux acteurs qui « transfaire(nt) » : comment les outils, les instruments, les hommes, les idées ou encore les lieux qui circulent « transfont » les politiques culturelles ? On s’intéressera à l’ensemble des acteurs mobilisés dans la mise en place d’une action culturelle, qu’ils soient publics (ministère de la Culture et du Tourisme, et instances dépendantes, Directorat locaux, préfectures, mairies), privés (grandes familles, banques ; galeries ; entreprises, maisons d’éditions), associatifs et fondations (Istanbul Kültür Sanat Vakfi ; Anadolu Kültür ; associations locales ; universités etc.); qu’ils soient collectifs ou individuels, basés en Turquie ou à l’étranger.

On s’intéressera également aux instruments de l’action culturelle et à leurs circulations, usages, adaptations, transformations. Par instrument, nous entendons par exemple le projet, l’agence,  des outils matériels de type Internet, les traductions (notamment de manuels, de guides touristiques, brochures), des coopérations. On portera une attention enfin aux moments du « transfaire » comme les festivals, les séminaires, les formations professionnelles, etc.

  1. Conceptions et usages de la notion de Culture

Ces interrogations permettront de travailler en second lieu sur ce que le « transfaire » fait aux conceptions de la culture. Comment les circulations participent-elles aux recompositions des conceptions de la culture dans l’action culturelle ? On s’interrogera sur la façon dont l’action culturelle (re)définit, re-fabrique la culture et ses usages. De l’usage de la culture pour la construction nationale, et la construction d’une « haute culture », on voit des usages pluriels se développer : la culture comme divertissement, la culture pour le tourisme, la culture pour la démocratisation et la « diversité », la culture pour le développement économique ou pour le développement territorial/local, la culture comme mode de gouvernance (Karaca 2009). Comment ces conceptions de la culture coexistent ou s’hybrident-elle ? Dans quels lieux et quelles temporalités ? 

  1. Espaces et territoires des politiques culturelles

     Le « transfaire » est également entendu comme un « faire dans un espace transnational», ou encore comme « un mode de faire pluriel ou ensemble dans des espaces et temporalités croisés ». Si le transfert suppose « une localisation préalable à la mise en circulation ou au contact, le « transfaire » privilégie la configuration relationnelle elle-même comme élément de l’action - et partant, de l’identification des acteurs » (Aymes & Gourisse). L’observation située des connexions, hybridations et associations permettra de déconstruire la fabrique des politiques culturelles dans un espace circulatoire transnational multiple. En étant attentifs à la pluralité des espaces et des échelles, nous pourrons éventuellement déconstruire le « transnational » qui ne prend pas en considération la pluralité des espaces. Nous serons attentifs à la façon dont les sites sont connectés, à la question des échelles, de leurs productions, de leur jeu. Nous nous intéresserons aux mouvements de circulations d’acteurs et de normes à l’international, à leurs appropriations et adaptations dans des sites variés, comme aux mouvements de « métropolisation », ou de localisation des politiques culturelles (avec par exemple l’adoption de l’Agenda 21 pour la culture, l’usage de politiques culturelles pour le développement local, etc.). Nous nous intéresserons à la constitution de réseau, au rôle des médias et de l’Internet dans ces circulations. Il ne s'agira pas de s'inscrire dans une logique top-down, mais plutôt de voir comment les manières de faire, les outils et les acteurs circulent d'un site à l'autre, comment cela, en tant que tel, participe de nouvelles manières et de nouveaux espaces de faire. Nous serons attentifs aux mouvements divers, circulatoires, pas seulement en direction de la Turquie (par exemple avec les centres culturels Yunus Emre, ou les projets Tandem, etc.).

       Nous attendons des propositions qui remettent en question les façons dont les circulations participent à la construction des politiques culturelles en Turquie aujourd'hui, mais aussi à l’époque de la période ottomane. Les propositions traitant de ces questions dans les pays de l'ex-Empire ottoman sont également les bienvenues. Les communications peuvent se concentrer par exemple sur:

  • Le rôle d’acteurs spécifiques dans l'élaboration des politiques culturelles
  • L'étude d'un projet / d’une politique / d’un instrument spécifique (sa fabrication, son évolution, sa circulation, son usage) ou d’action or d’événements culturels.
  • L'élaboration de la politique culturelle au niveau local (acteurs, usages et conceptions de la culture)
  • Les langages des politiques et leur processus de traduction.

Bibliographie :

  • Abélès M., Anthropologie de la globalisation, Paris, Payot, Rivages, 2008.
  • Appadurai A., "La production de la localité", dans Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2005, chapitre 7.
  • Aymes M., Gourisse B., « Matières à transfaire. Espaces-temps d’une globalisation (post-) ottomane », Document Scientifique ANR (unpublished).
  • Serhan A. et Ince H. A. (ed.) Introduction to Cultural Policy in Turkey, Istanbul, Bilgi University Press, 2009.
  • Callon M., Latour B. « Le grand Léviathan s’apprivoise-t-il ? », in Akrich M., Callon M. et Latour B., Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Paris, Presses des Mines, 2006.
  • Dumoulin, L., Saurugger, S., « Les policy transfer studies : analyse critique et perspectives », Critique internationale, 48/3, 2010.
  • Işiksel G. et Szurek E. (dir.), Turcs et Français. Une histoire culturelle, 1860-1960, Paris, PUR, 2014
  • Karaca B., “Governance of or through culture? Cultural policy and the politics of culture in Europe”, in Focaal - Journal of Global and Historical Anthropology, Vol. 2009, No.55, 27-40p.
  • Katoğlu M., “The Institutionalization of High Art as a Public Service in the Republican Era”, in Ada S., Ince A. (eds), Introduction to Cultural Policy in Turkey, İstanbul Bilgi University Press, 2009.
  • Öztürkmen A., “The role of people’s houses in the making of national culture in Turkey”, in New Perspectives on Turkey, 1994, 11, pp. 159-181.
  • Poirrier P. (dir.) (2011), Pour une histoire des politiques culturelles dans le monde. 1945-2011, Paris, La Documentation française.
  • Polo J-F. et Üstel F., « Les nouvelles orientations de la politique culturelle Turque : à la recherche d’un modèle conservateur alternatif ? », Pôle Sud, n° 41 – 2014/2, p.17-32.
  • Thiesse A-M., La création des identités nationales en Europe XIIIème-XXème siècles, Paris, Le Seuil, 2001.

Comité scientifique et d’organisation

  • Muriel Girard (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille)
  • Cilia Martin (IFEA-Istanbul)
  • Jean-François Polo (Université Galatasaray – Science Po Rennes)
  • Clémence Scalbert Yücel (IFEA-Istanbul & University of Exeter)
  • Füsun Üstel (Université Galatasaray)
  • Lydia Zeghmar (IFEA-Istanbul)